L'Ecole de la République

(Les EGIDES de la République)

Ecole, Justice, Industrie, Défense, Europe, Santé  

 

 
 

L’École appartient à tous et doit par conséquent fonder son action sur des valeurs communes, incontestables et non négociables, qu’il faut pouvoir distinguer des convictions privées, propres aux personnes ou aux communautés particulières.

L’École de la République s’est construite autour de quelques valeurs – l’autorité et l’universalité des savoirs, considérés comme facteurs de l’émancipation des individus, le respect des lois morales et républicaines, conditions de la vie en commun, mais aussi l’identité nationale ainsi que la neutralité idéologique et la gratuité du service public d’éducation.

Ces valeurs paraissent aujourd’hui parfois insuffisamment reconnues par une société qui valorise davantage qu’autrefois la liberté et la diversité des formes d’expression ou de conduite, la recherche des plaisirs et du bien-être ainsi que la quête d’identité et de réussite des individus. Par-delà l’accord général sur les grandes valeurs nationales (émancipation des individus, égalité des citoyens, solidarité) les débats sur l’École font apparaître que celle-ci se trouve, face aux effets déstabilisateurs de cette évolution de la société globale, partagée entre la tentation de la « sanctuarisation » et celle de « l’ouverture sur la vie ».

Une des missions essentielles de l’École est de transmettre les savoirs : mais faut-il valoriser l’instruction (l’élévation du niveau de culture générale) ou plutôt la préparation à la vie professionnelle (l’élévation du niveau de qualification des futurs salariés) - ou bien comment pondérer ces deux dimensions si l’on considère qu’elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre ?

La liberté de l’individu est une valeur fondamentale de l’École républicaine (qui valorise par là même l’autonomie, la créativité et l’épanouissement individuels) : mais cette liberté ne constitue-t-elle pas en matière d’éducation à la fois un but, un moyen et un obstacle ? Comment faut-il pondérer autorité de l’institution et liberté individuelle à l’École ?

La laïcité de l’École conditionne sa mission d’intégration et d’accueil de tous les enfants : mais la recherche de neutralité et de tolérance implique-t-elle une plus grande reconnaissance des expressions de la diversité culturelle, politique et religieuse ou bien exige-t-elle plutôt leur relativisation, voire jusqu’à l’effacement des marques d’appartenance communautaire au sein des classes et des établissements scolaires ?

L’École peut-elle être le creuset de la Nation tout en favorisant la construction européenne et l’expression des identités régionales ?

L’École, chacun en convient, doit contribuer à rendre la société plus juste :  mais doit-elle pour cela valoriser le mérite individuel au regard des critères de la réussite scolaire - dans le but de remplacer les inégalités de naissance par une hiérarchie fondée sur la reconnaissance des talents – ou bien faut-il au contraire relativiser les différences de niveau scolaire afin de mieux garantir la mixité sociale et l’intégration de tous ?   

Toutes ces incertitudes et ces conflits de priorités ou d’interprétation témoignent de la nécessité du débat collectif sur les valeurs de l’École : la clarification des idéaux doit ainsi permettre à chacun de se représenter le plus précisément possible, dans les années à venir, les limites qui séparent le tolérable de l’inacceptable.

   
 
   
 

Les débats contemporains sur l’École font état de divergences qui apparaissent quant à l’interprétation qu’il faut donner de ses valeurs ; face aux évolutions de la société, certains demandent à l’École un effort d’adaptation, alors que d’autres exigent d’elle au contraire qu’elle entre en résistance.

Le développement de l’économie de marché dans le cadre de la mondialisation conduit à renforcer la demande de formation adressée à l’École et à exiger d’elle qu’elle devienne plus efficace. On peut considérer cet effort d’adaptation comme nécessaire du point de vue même des idéaux démocratiques : de l’efficacité des formations dispensées par l’École dépend notamment l’intégration de tous les individus dans l’économie – condition de leur autonomie et de leur progrès dans la vie sociale. L’utilité des formations et des diplômes devrait de ce point de vue constituer l’un des soucis majeurs de l’institution scolaire. Cette volonté d’ajuster l’École aux exigences de l’économie contemporaine est parfois interprétée par certains  comme une « dérive libérale » qui trahit l’idéal scolaire : à travers la dénonciation de la « marchandisation de l’éducation » sont revendiquées non seulement « l’exception éducative » contre la tentation de transformer les services éducatifs en biens marchands, mais aussi l’indépendance de l’instruction par rapport à la formation professionnelle (défense de la « gratuité » de l’enseignement, contre le principe d’utilité), l’unité du service public d’éducation nationale contre les tentatives d’introduire le principe de concurrence dans le système éducatif, et enfin l’indépendance de l’enseignant, dans son rapport au savoir et à la pédagogie, contre le principe d’une gestion managériale du personnel éducatif.

L’essor de la consommation et de la communication de masse a contribué à l’installation d’une culture du divertissement, qui valorise le plaisir et la séduction immédiats et qui est considérée par beaucoup comme responsable de la crise des savoirs scolaires. Le débat s’est focalisé sur le rôle de la télévision : loin d’être un instrument neutre de communication, celle-ci diffuserait une culture de l’image et de l’émotion incompatible avec les exigences de la culture centrée sur l’écrit (concentration, distance critique, temps de la réflexion). Pour les uns, la prééminence de la valeur de la culture scolaire justifie que l’on réaffirme l’autorité des savoirs dans leur pureté et que l’on fasse de l’École un sanctuaire dans lequel la culture médiatique n’entre pas ; pour d’autres au contraire, la culture scolaire se heurte à un concurrent bien plus puissant que ne l’étaient ou ne le sont les cultures traditionnelles : face à la séduction exercée par la culture de masse sur les jeunes esprits, la résistance paraît vaine et la collaboration préférable, y compris pour faciliter l’apprentissage des savoirs scolaires eux-mêmes et l’accès à la culture scolaire. Entre ces positions extrêmes, le problème, pour la plupart des enseignants, est de faire valoir la supériorité de la culture scolaire en évitant les deux écueils de l’austérité et de la démagogie.

Le nouveau modèle familial, plus individualiste, distend le lien d’autorité entre les parents et les enfants. La famille n’est plus autant « la cellule de base » de la société qu’elle pouvait l’être autrefois et tend à devenir une association d’individus libres et égaux. Dans un tel cadre, l’éducation des enfants change de sens : le but n’est plus (ou n’est plus seulement) de conduire l’enfant à se soumettre aux lois de la communauté en intériorisant un modèle d’obéissance, mais de respecter au plus tôt son autonomie et de favoriser son épanouissement. L’École doit-elle s’aligner sur ce modèle pédagogique ? La loi d’orientation de 1989 allait dans ce sens, en plaçant « l’élève au centre du système ». A tort ou à raison, ce mot d’ordre a été interprété par beaucoup comme l’expression d’une volonté de modernisation démocratique de l’École visant à prendre davantage en compte l’élève tel qu’il est, en tant qu’individu, c’est-à-dire en tant que porteur d’une culture, de désirs et de goûts qui lui sont propres. Nombre d’acteurs de l’École considèrent cependant, au nom des valeurs spécifiques de l’École, que cette orientation est contestable : il convient selon eux de placer au centre de l’École non pas l’élève tel qu’il est, mais les savoirs, dont l’objectivité et l’universalité s’imposent à tous de façon normative. Cette question a constitué l’un des axes du débat intellectuel sur l’École au cours de la dernière décennie.

Les incertitudes relatives à l’identité nationale – du fait tout à la fois de l’immigration massive, de la renaissance des identités régionales, et de l’intégration européenne –rejaillissent inévitablement sur l’École. Celle-ci est unanimement considérée, en France, comme « le creuset de la Nation » : c’est à l’École, à travers la transmission d’une culture commune dont l’apprentissage de la langue française constitue le socle, que l’on demande de réaliser l’intégration des immigrés, alors qu’aux Etats-Unis par exemple ce rôle est plutôt dévolu au marché du travail. Dans le même temps plus personne ou presque n’envisage la culture nationale comme pouvaient la concevoir les républicains de la fin du XIXe siècle, avant les deux guerres mondiales, la décolonisation et la construction européenne. Se pose en conséquence le problème des valeurs qui doivent guider aujourd’hui le rapport de l’École à la diversité culturelle : faut-il, contre le nationalisme du passé et au nom de l’équivalence en valeur de toutes les cultures, faire une place plus grande à cette diversité au sein de l’École, ou bien celle-ci doit-elle inviter les individus à relativiser leurs attaches particulières, de manière à transmettre une culture homogène qui favorise l’intégration ?

Une alternative analogue se déduit de la volonté de promouvoir la valeur de laïcité. Dans sa rivalité avec l’enseignement catholique, l’École républicaine justifiait la supériorité de la laïcité par sa vertu émancipatrice – fondée sur le partage entre le particulier et l’universel – pour la conscience individuelle. Il convient à cet égard de citer quelques lignes de la célèbre lettre aux instituteurs de Jules Ferry du 17 novembre 1883 : « L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école. Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous ». Le principe d’une neutralité distante de l’État vis-à-vis des religions est aujourd’hui accepté par tous, mais des divergences apparaissent quant aux implications concrètes qu’il faut en tirer : quelles limites faut-il imposer à l’expression des identités culturelles particulières pour laisser place à l’enseignement de l’universel ? Certains considèrent que l’École, pour permettre à l’individu de découvrir de nouveaux horizons au-delà de sa communauté d’appartenance, doit constituer un sanctuaire et interdire ce qui est permis dehors (par exemple le port d’insignes religieux) ; d’autres vont à l’inverse jusqu’à contester la prétention à l’universalité des savoirs et des droits et revendiquent la différence des droits ainsi que l’inscription de la diversité des cultures dans les programmes. Comment concevoir une laïcité moderne, qui reconnaisse les droits culturels tout en résistant à l’emprise des communautarismes ?

L’interprétation de la valeur d’égalité est devenu un problème de l’École. L’idéal méritocratique de l’égalité des chances est sinon contesté, du moins relativisé. L’égalité d’offre éducative garantie par l’École démocratique laisse clairement transparaître que l’égalité des chances n’annule pas les hiérarchies scolaires et sociales. Pour beaucoup la mixité sociale, l’intégration de tous, la lutte contre la fracture scolaire et la garantie d’un savoir minimal  apparaissent comme constituant des objectifs plus importants. De plus le principe de l’égalité de dignité conduit l’École à se soucier davantage de garantir aux « vaincus » de la compétition scolaire - sur la base d’une prise de conscience des effets de stigmatisation que produit celle-ci - des conditions de scolarisation plus épanouissantes. L’égalité entre garçons et filles donne aussi matière à des conflits d’interprétation, soit que l’on substitue l’idéal de la parité (dans les différentes filières) à celui de la mixité, soit que l’on remette ce dernier en cause en pointant ses effets pervers (faiblesse du travail des garçons, filles victimes du machisme ou freinées dans leur progression).

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