Urbanisme durable
Polis désigne la Cité-État en Grèce antique, c'est-à-dire une communauté de citoyens libres et autonomes. Dans la pensée grecque antique, la Cité préexiste à l'homme. À titre d'exemple, la cité d'Athènes n'existe pas en tant que telle : c’est la cité des Athéniens, tout comme Sparte est la cité des Lacédémoniens.
Comme le formule Aristote, la Cité est un groupe — une koinônia — « d'animaux politiques » réunis par un choix — proairésis — de vie commune (Politique, 1252 - 1254). Cette vie commune est assurée et consolidée par la référence à un même passé mythique, à des héros communs, à des rites et des lois intégrées et partagées.
Le caractère autonome de ces cités a été favorisé par le relief accidenté du pays (reliefs de type alpin ; forte activité tectonique), entravant les communications, et renforçant ainsi l'autarcie des cités. Toutefois aucun déterminisme géographique n'explique cette structure originale. Sa formation est un processus long et complexe.
La notion de polis peut ainsi recouvrir trois réalités superposables et peut apparaître comme :
- une donnée sociale, comprise comme une communauté d'ayants droit, libres et autonomes, fortement structurée : le corps des citoyens. La polis est alors comprise comme une entité politique et même comme le cadre de l'émergence du politique.
- une donnée spatiale, un site qui noue de manière insécable une ville à son territoire et un écosystème. La polis est alors comprise comme une entité physique.
- un État souverain, doté de pouvoirs régaliens, qui joue un rôle sur la scène internationale.
Jusqu'au XIIIe siècle av. J.-C., les palais mycéniens dominent la Crète, et représentent la forme la plus achevée de civilisation en Grèce. Puis ces éléments caractéristiques de la civilisation dite palatiale, disparaissent pour laisser la place à une civilisation mal connue des historiens, qualifiée de siècles obscurs. Le processus poliade a été sans doute amorcé dès cette époque, entre le Xe et le XIe siècle, plus particulièrement en Asie Mineure.
Cependant, Henri Van Effenterre, citant le cas de la ville de Gortyne, soutient que la polis existait dès l'âge du bronze et que cette organisation a coexisté avec la société palatiale. D'autres historiens n'accordent le titre de polis qu'aux organisations du VIe siècle.
C'est au VIIIe siècle av. J.-C. que des villes apparaissent, qui semblent dominer un terroir, où se soudent une communauté et dont la souveraineté est affirmée. Mais ce processus, entamé vraisemblablement dès les siècles obscurs, ne devait connaître son achèvement qu'au VIe siècle, avec la formulation généralisée des droits et devoirs des citoyens.
Les cités se construisent lentement, par synœcisme, l'association de plusieurs villages proches en un centre commun. Souvent ce lieu est dominé par une colline, qui devient forteresse (acropole). L'évolution est différente selon chaque cité.
La transmission par héritage du terroir provoque des inégalités, des tensions, dans un modèle encore peu affirmé. C'est une des causes du mouvement de colonisation qui apparaît au milieu du VIIIe siècle av. J.-C.. Des Grecs partent d'Eubée, puis de l'ensemble de l'espace grec, pour aller fonder des cités, comme à Massalia (colonie de Phocée), Cyrène. À chaque fois, un centre urbain émerge.
Les cités sont totalement indépendantes mais se reconnaissent d'une même culture. Cette lente formation est restituée par les récits homériques, qui ont évolué à travers le temps et renvoient à un cadre matériel mycénien et des structures politiques des siècles obscurs.
Le territoire était divisé en trois entités : l’astu, avec les édifices publics et l'habitat, la chora, qui réunissait les villages (nommés komai) ainsi que les terres arables. La troisième et dernière unité est l’eschatia, région couvrant les montagnes et les terres de mauvais rapport. Les remparts marquaient la limite entre agglomération et campagne. Ils avaient une valeur symbolique de puissance et d'indépendance. Dans les cités qui se trouvaient à proximité de la mer, il y avait aussi parfois la paralia, c'est-à-dire la côte et le port. L'ensemble constituait le territoire poliade.
Une cité n'avait pas toujours de centre urbain, comme Sparte. Celui-ci était souvent établi selon des axes de circulation, comme à Megara Hyblaea, voire selon un plan en damier (Le Pirée), plus évolué et plus tardif, que la tradition attribue à Hippodamos de Milet. Il contenait une forteresse (acropole) parfois à l'extérieur et une place du marché (agora). Cette dernière était le centre de la cité, y réunissait tous ses caractères : politiques, religieux et commerciaux, à tel point que son absence marquait pour Aristote un trait de barbarie. L'Acropole avait une fonction religieuse, elle est fortifiée, mais n'est plus le siège du pouvoir politique depuis le VIe siècle av. J.-C.. Au Ve siècle av. J.-C., certaines sont abandonnées, transformées en poste de garde.
L'émergence du système poliade est concomitante avec de nouvelles formes de vie politique où dominent la parole et la publicité des débats.
Chez Aristote, l'organisation de la cité est diverse, mais relève de trois principaux types de constitutions : l'Oligarchie, la Tyrannie et la Démocratie, par ordre d'apparition. Ceux-ci évoluent, le but étant pour les Grecs de définir la meilleure politeia, concept qui allie la citoyenneté au mode d'organisation de la cité, deux choses sensiblement liées pour les Grecs.
Chaque cité se distingue par un panthéon différent, une politeia différente. La connaissance de la variété des organisations politiques, de l'éducation, des croyances religieuses reste vague et limitée aux cités les plus célèbres et les plus influentes, dont Sparte et Athènes, très différentes.
Les poleis se sont affaiblies. Du moins, telle fut l'analyse qui prévalut pendant longtemps parmi les historiens. Cependant comme le remarque Claire Préaux, « on a dit que la cité grecque était morte à Chéronée. […] Ce qui est mort à Chéronée, c’est le rêve d’un empire athénien tandis que naissait une expansion de la culture de la cité grecque. » Plus loin, pour l'historien Richard Billows, la période hellénistique constitue même « une période centrale dans la vie des cités. »
Il existe cependant différents degrés de liberté et d'autonomie dans les créations poliades d'Alexandre et des Diadoques. Alexandre donne la liberté quand ses successeurs la garantissent. Le thème de la « liberté des Grecs » peut aussi, à l'occasion, devenir un thème de propagande. Les cités peuvent voir leurs magistrats principaux nommés par les souverains, se voir imposer des garnisons ou des impôts extraordinaires (comme l'impôt galatique).
Les cités conservent la plupart de leurs institutions — comme le serment de l'éphébie à Athènes —, leur traitement des étrangers, le service rendu aux citoyens. Les magistrats sont souvent, comme à l'époque classique, nommés ou élus. Certains mécènes cumulent parfois plusieurs fonctions. Reste que l'expansion géographique et quantitative du phénomène poliade est sans précédent depuis la période de colonisation archaïque.
Le principal changement se mesure en réalité dans la politique extérieure des cités qui, sur ce point, perdent une large part de leur autonomie quand elles gagnent en sophistication dans la gestion des affaires internes et dans la culture, la vie civique et les aménagements urbains.
Une des principales questions qui agitaient les cités fut celle de l'approvisionnement, préoccupation qui mit au premier plan les mécènes et les bienfaiteurs. L'évergétisme change de nature et de fonction, mais reste une compétition tout hellénique, proche des concours olympiques. Autre trait propre aux cités hellénistiques, la recherche de nouvelles alliances entre les cités et en particulier sous la forme d'accords d’isopoliteia, forme nouvelle de citoyenneté partagée.
Les empereurs romains vont continuer à promouvoir ce système de la cité puisqu'elle permet à des régions éloignées de s'autogérer et donc de faciliter la gestion de l'Empire. Malgré la création de provinces romaines, partout continuent à exister des cités à la grecque. Elles continuent à organiser elles-mêmes leur politique intérieure alors que la politique extérieure est aux mains de l'Empire romain.
Incarnation intellectuelle et matérielle de l'utopie, la Cité idéale est une conception urbanistique visant à la perfection architecturale et humaine. Elle aspire à bâtir et à faire vivre en harmonie une organisation sociale singulière basée sur certains préceptes moraux et politiques.
Si de très nombreuses « cités idéales » ne sont restées qu'au stade de rêves dans l'esprit de leurs créateurs, certaines ont cependant été achevées dans les faits. Il s'agit cependant de réalisations « idéales » au sens où, contrairement à la cité spontanée, qui se développe peu à peu selon les besoins en fonction de décisions multiples, et donc de façon organique et parfois anarchique, la Cité idéale est conceptuellement élaborée avant d'être matériellement construite, et sa fondation résulte d'une volonté intellectualisée et unifiée.
« Ainsi ces anciennes cités qui, n'ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues par succession de temps de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu'un ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine » ( René Descartes, Discours de la méthode, seconde partie).
Antiquité et Moyen Âge
Dès l'antiquité, les hommes rêvent d'édifier une Cité idéale comme en témoigne le mythe de la Tour de Babel. Le sujet apparaît chez les philosophes grecs dans le contexte particulier de la cité-état, La République de Platon (427 à 348 av. J.-C.) en étant le plus célèbre exemple. Or, de fait, à partir du VIIe siècle av. J.-C., certaines volontés de rationaliser l'organisation spatiale de la ville se manifestent, notamment dans les villes nouvelles. Un plan orthogonal à damier encore grossier, dit plan hippodamien apparaît dans plusieurs colonies grecques telles que Sélinonte. On le retrouve par la suite aussi bien dans les villes antiques, et contemporaines. Cette rationalisation de l'espace urbain, dont la paternité a longtemps été attribuée à Hippodamos de Milet (Ve siècle av. J.-C.), montre un souci de planification et d'optimisation de la gestion de la forme urbaine qui rejoint les préoccupations des philosophes. Selon Aristote, Hippodamos est à la recherche de la cité idéale au sens où l'organisation de l'espace urbain s'applique à traduire l'organisation de la république idéale, et on lui attribue le plan en damier du Pirée, ainsi qu'en -479 av. J.-C. la reconstruction de Milet, incendiée par les Perses.
L'organisation sociale et urbanistique de la Cité idéale est également au cœur des réflexions d'Aristote qui, dans sa Politique, s'intéresse, après l'avoir critiqué, à la République de Platon ainsi qu'aux cités existantes. Organisation de l'espace, organisation sociale et organisation politique rationnelles sont les axes selon lesquels les philosophes pensent la cité idéale, à laquelle les architectes et les premiers urbanistes se sont déjà attaqués sur le terrain.
La fondation des villes par les colons romains, telle que la décrit Pierre Grimal, est effectuée selon un plan idéal obéissant à plusieurs exigences : rationalisation de l'espace par un réseau de rues en damier à partir d'un axe majeur fourni par l'intersection à angle droit du decumanus et du cardo dont les extrémités vont être les quatre accès principaux à la ville; découpage de l'espace en ilots qui seront répartis selon le rang et la fonction des futurs occupants dans un esprit de justice et d'égalité ; enfin orientation selon un plan est-ouest (decumanus) et nord-sud (cardo), déterminé par rapport au soleil, qui indique la dimension sacrée de la ville et peut-être son rapport au monde. La cité idéale romaine est une sorte de matrice, l'essence de la ville-mère, l'Urbs, Rome. Traduite sur le terrain, la ville romaine doit permettre aux citoyens de circuler, d'habiter, de travailler et d'être sous la protection des dieux. Pierre Grimal cite l'exemple de Timgad, aujourd'hui inscrite au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO.
Au Moyen Âge, le plan hippodamien est toujours utilisé dans la création des villes nouvelles, par exemple les bastides (à noter : Marciac , bastide du Gers, est en particulier dotée d'un plan parfaitement régulier et symétrique). Selon ce site, il existerait une vision de la cité idéale égalitaire qui se traduit dans le plan de ces villes nouvelles. Le site fait référence (mais avec une orthographe que l'on ne retrouve pas ailleurs), à Francesc Eiximenis, auteur d'un Regime[n]t de la cosa publica, dont le facsimilé est disponible ici. Cette grille hippodamienne est aussi celle du jeu d'échecs qui sert au dominicain Jacques de Cessoles à décrire l'organisation idéale de la cité ceinturée dans ses murs symbolisés par les quatre tours d'angle. Selon Jacques Heers, le fractionnement de l'espace urbain en espaces privés, l'absence d'un pouvoir central fort, s'opposent à la conception et la réalisation de grands projets publics au cours du Moyen Âge.
Quoi qu'il en soit, le christianisme, s'appuyant sur le texte de l'Apocalypse de Saint Jean, offre aux fidèles la promesse d'une cité idéale qui n'est pas de ce monde, la Nouvelle Jérusalem. La Cité idéale à laquelle les hommes doivent travailler, c'est La Cité de Dieu de Saint Augustin.
De la Renaissance à l'âge classique
Les utopies
L'humanisme italien de la Renaissance est fortement influencé par le retour de la cité-état. L'organisation urbaine et la question de la " société idéale " deviennent des sujets centraux de réflexion. Les villes médiévales aux ruelles tortueuses et incommodes apparaissent comme une forme dégénérée de la cité antique aux larges avenues rectilignes et aux perspectives majestueuses. Elles ne répondent plus aux exigences stratégiques et économiques de leur temps. Se pose aussi la question de l'organisation politique de la cité. Le thème du bon gouvernementse décline chez les philosophes, les juristes, les artistes, notamment les architectes, comme Le Filarète, qui dans son traité d'architecture en 25 volumes présente les plans de Sforzinda, une cité idéale.
Dans le Songe de Poliphile (1467), Francesco Colonna décrit une cité idéale sur l'île Cythérée. C'est aussi sur une île que Thomas More situe son Utopia (1516). François Rabelais (L’abbaye de Thélème, 1534), Johann Eberlin von Günzburg, (Wolfaria, utopie protestante), Tommaso Campanella (La Cité du Soleil, rédigée en 1602) et Francis Bacon (La nouvelle Atlantide, 1627) imaginent eux aussi des sociétés idéales. Campanella est notamment très préoccupé par l'organisation d'un espace urbain qui épouse parfaitement l'organisation économique, sociale et politique de la cité.
La problématique de la Cité idéale gagne également la sphère artistique sous l'effet de la redécouverte du traité de Vitruve qui s'opère à l'extrême fin du Moyen Âge (De architectura, 1414) et des travaux de Leone Battista Alberti.
Parallèlement, des juristes comme Jean Bodin (1529-1596), des philosophes comme James Harrington (1611-1677)s'interrogent sur la structure juridique la plus favorable à préserver l'état idéal.
Les expériences
Les aspirations sociales et politiques de la pensée utopique ont du mal à se traduire dans les faits en Europe. Les réalisations concrètes sont des expériences isolées, souvent à l'initiative de quelque personnage suffisamment puissant ou fortuné pour mener à bien ces projets. Ces réalisations expriment un idéal de rationalisation de l'espace urbain épousant la fonction de la ville, mais aussi le respect de la « divine proportion », pour reprendre l'expression de Luca Pacioli. Le village de Corsignano, berceau du pape Pie II devient ainsi la ville de Pienza en 1459. Les travaux, qui devaient en faire une cité idéale, restent inachevés à la mort de l'architecte florentin Bernardo Rossellino et de leur principal instigateur. L'aménagement de la cité de Ferrare par l'architecte Biagio Rossetti à partir de 1492 s'inscrit dans cette recherche d'un idéal mariant esthétique et rationalité, mais l'Addizione Erculea, intersection de deux avenues flanquée de quatre palais, ne représente qu'une fraction du projet qui reste lui aussi inachevé.
En 1593, le surintendant de la ville de Venise fait construire Palmanova, caractérisée par sa forme originale d'étoile à neuf branches. La forteresse vise à la fois la perfection formelle et stratégique : les portes monumentales sont conçues par Vincenzo Scamozzi dans la tradition vitruvienne, mais le plan rayonnant permet aux soldats rassemblés sur la place d'armes au centre de se rendre rapidement à leurs différents postes sur les remparts en passant par des avenues larges et dégagées. Sabbioneta, réorganisée au XVIe siècle par le duc de Mantoue, est également une cité-forteresse idéale à échelle réduite. Citons encore les villes nouvelles de Charleville, construite sur l'ordre de Charles Ier de Mantoue sur un plan hippodamien et toute entière vouée au négoce, ou Richelieu (Indre-et-Loire), bâtie elle aussi sur un plan hippodamien à l'instigation du cardinal de Richelieu.
L'utopie uniquement sociale des anabaptistes de Münster, qui tentèrent d'instaurer une théocratie dans leur ville, fera peu d'émules. En revanche, la colonisation va offrir à certaines communautés européennes la possibilité d'expérimenter de façon paradoxale de nouveaux projets de cités idéales. Les missions jésuites du Paraguay embrigadent les Guaranis dans l'expérience des « réductions » qui durera du début du XVIIe siècle à 1767. Les Puritains du Mayflower qui fuient l'Angleterre anglicane pour fonder une société nouvelle en Nouvelle-Angleterre se préoccupent moins d'urbanisme que de liberté religieuse, mais la fondation de Philadelphie en 1681 par le quaker William Penn renoue avec la tradition de la cité utopique dont l'architecture même reflète la société idéale qu'elle prétend fonder.
XVIIIe siècle
Montesquieu (1689-1755) poursuit la réflexion entamée par les juristes et les philosophes à la recherche d'une constitution idéale pour réformer les sociétés. En 1755, dans le Code de la Nature, ou le véritable Esprit de ses lois, Étienne-Gabriel Morelly développe les bases révolutionnaires d'un état où l'égalité des droits et des devoirs des citoyens est assurée par une organisation mathématique et rationnelle de la cité et la disparition de la propriété privée. La vision selon laquelle la ville pourrait constituer le socle d’une société meilleure progresse dans les milieux intellectuels. Elle rencontre un écho particulier chez les révolutionnaires français, dont Saint-Just , – surnommé « l'archange de la Terreur » en raison de son intransigeance sur ses idéaux politiques – sera l’un des plus illustres représentants. Ils ne pourront toutefois pas réaliser leurs rêves d'une république vertueuse et idéale.
Le XVIIIe siècle voit de nombreux chantiers d'embellissement et de mise en ordre de l'espace urbain. C'est aussi le siècle des architectes visionnaires comme Jean-Jacques Lequeu, Étienne-Louis Boullée et Claude Nicolas Ledoux (1736-1806). Ce dernier est à l'origine d'une des réalisations de cité idéale les plus achevées au monde : la Saline royale d'Arc-et-Senans située sur la commune d'Arc-et-Senans (Doubs). Architecte visionnaire, Ledoux ne pourra toutefois pas mener à bien son projet d'une cité idéale, la ville de Chaux. Dépourvue de prison, articulée autour des besoins de ses habitants et intégrée à la nature, la ville est toute pétrie de bonnes intentions rousseauistes. Elle offrait, selon Alberto Pérez-Gómez, « un environnement physique où l'homme devait être en mesure de trouver le véritable bonheur. »
À la fin du XVIIIe siècle, en 1794, Samuel Taylor Coleridge et Robert Southey élaborent le projet d'une communauté idéale, la Pantisocracy (gouvernement par tous). Leur projet initial est de s'installer sur les rives de la Susquehanna aux États-Unismais les difficultés matérielles les découragent de tenter l'expérience.
XIXe siècle
Les idées révolutionnaires qui ont inspiré le projet avorté des poètes anglais continuent à faire leur chemin. Au XIXe siècle, le socialisme utopique va inspirer la réalisation de communautés conçues pour éviter l'oppression de la majorité laborieuse par un petit nombre d'oisifs. Ce sont les phalanstères de Fourier, qui donnent au socialiste britannique Robert Owen l'idée des réformes de l'usine de New Lanark, puis celle de coopératives utopiques qu'il tente de réaliser, mais sans succès. Citons aussi Étienne Cabet, auteur de Voyage en Icarie (1840), qui tenta ensuite de transposer ses idées dans les faits en créant une Icarie aux États-Unis (Icaria, Iowa dans les années 1850). Son projet est un échec, mais il innove jusque dans la façon même dont la ville est conçue, non plus seulement par des spécialistes, mais aussi par une forme de ce que l'on appellerait aujourd'hui la « démocratie participative » :
« Imagine d’abord, soit à Paris, soit à Londres, la plus magnifique récompense promise pour le plan d’une ville-modèle, un grand concours ouvert, et un grand comité de peintres, de sculpteurs, de savants, de voyageurs, qui réunissent les plans ou les descriptions de toutes les villes connues, qui recueillent les opinions et les idées de la population entière et même des étrangers, qui discutent tous les inconvénients et les avantages des villes existantes et des projets présentés, et qui choisissent entre des milliers de plans-modèles le plan-modèle le plus parfait. Tu concevras une ville plus belle que toutes celles qui l’ont précédée ; tu pourras de suite avoir une première idée d’Icara, surtout si tu n’oublies pas que les citoyens sont égaux, que c’est la république qui fait tout, et que la règle, invariablement, et constamment suivie en tout, c’est : d’abord le nécessaire, puis l’utile, enfin l’agréable. »
Jean-Baptiste André Godin essaiera de traduire une partie de ces aspirations sociales dans son familistère tandis que les communautés de saint-simoniens tenteront de mettre en pratique leurs idées de réforme sociale.
La réflexion sur la ville est également alimentée par les problèmes d'insalubrité, exacerbés par la croissance démographique et le début de l'exode rural. Les épidémies, rougeole, dysenterie, typhus, font des ravages en milieu urbain. L'épidémie de choléra qui touche Paris en 1832, par exemple, met l'accent sur les insuffisances de l'approvisionnement en eau potable. Les grandes villes, notamment Londres, sont accusées d'être le terrain de prédilection du crime, du vice et de la misère.
Un exemple intéressant de réalisation du XIXe siècle est la ville Napoléonienne de La
Roche-sur-Yon (Vendée), en effet, cette dernière est largement inspirée des idées des architectes Pierre Patte et Jean-Jacques Huvé avec des rues rectilignes, une vaste place civique, ou encore de nombreux espaces publics.
Le développement et la démocratisation du chemin de fer durant
les années 1850-1870 favorisent un relatif " retour à la nature " dont les cités-jardin britanniques constituent une figure emblématique. L'idée
sera d'ailleurs ultérieurement adoptée en France, notamment à Stains (93) et à Suresnes (92).
La montée en puissance des préoccupations hygiénistes de l'époque transparaît dans
ces différents projets. Considérant que la baisse de la mortalité et l'allongement de la durée de vie sont un aspect essentiel du progrès social, Benjamin
Ward Richardson publie en 1876 un ouvrage intitulé Hygeia, a City of Health dans lequel il décrit une cité idéale pour la santé de ses habitants. La rénovation de Paris par Haussmann, Belgrand et Alphand
est inspirée par ces théories hygiénistes comme en témoignent la construction des espaces verts
ou des égouts de Paris. On retrouve ces aspirations chez Jules Verne, qui imagine une communauté idéale dans Les Cinq Cents Millions de la Bégum, qu'il baptise patriotiquement France-Ville, tandis que H. G. Wells publie en 1905 une Modern Utopia également inspirée de l'urbanisme hygiéniste.
Divers employeurs paternalistes, tels William Lever avec Port Sunlight (près de Liverpool) à partir de 1888, ou encore en Belgique au début du siècle à Bois-du-Luc et au Grand Hornu, tentent par ailleurs de combiner au mieux industrie et habitat.
XXe siècle
Pendant que, influencés par les idées socialistes, se développent en Palestine les premiers kibboutzim, avec leur plan sévèrement égalitaire et communautaire, la réflexion menée par les architectes de la fin du XIXe siècle débouche sur la notion d'urbanisme, terme qui apparaît en France au début du XXe siècle..
Les pratiques et techniques de l'urbanisme découlent de la mise en œuvre des politiques urbaines (logement, transport, environnement, zones d'activités économiques et appareil commercial). Cette deuxième dimension recoupe la planification urbaine et la gestion de la cité (au sens antique du terme), en maximisant le potentiel géographique en vue d'une meilleure harmonie des usages et du bien-être des utilisateurs (résidents, actifs, touristes).
La notion apparait avec l’ingénieur catalan, Ildefons Cerdà et son ouvrage Théorie générale de l'urbanisation paru en 1867. Il fit son apparition en France en 1910 suite à une parution dans le Bulletin de la Société neuchâteloise de géographie sous la plume de Pierre Clerget. En 1911, la Société française des urbanistes (SFU) est fondée. Issue des courants humanistes et hygiénistes de la fin du XIXe siècle, cette société savante réunit depuis ses origines les urbanistes de tous modes d’exercice (public, para public et privé) sur la base de critères professionnels. Ses actions constituent une véritable force de propositions, qui se manifeste notamment dans la vision des urbanistes pour la ville du XXIe siècle et la Nouvelle Charte d’Athènes. La SFU représente les urbanistes de France au Conseil européen des urbanistes.
En dehors des approches fonctionnelles du XXe siècle, à titre d'exemple contraire, nous pouvons évoquer la Cité-jardin développée en théorie comme en pratique par Ebenezer Howard à la fin du XIXe siècle avec la construction de deux villes en Angleterre : Letchworth et Welwyn. C'est là un modèle qui fut largement utilisé dans le contexte de la reconstruction de l'après-guerre par Henri Sellier dans le département de la Seine, à Reims, à Ternier, à Laon…
Actuellement en France, l'échec ressenti des grandes opérations d'aménagement d'après-guerre - grandes opérations inspirées de la vision moderniste des CIAM, lesquels avaient développé la théorie du zonage (découpage du territoire en zones fonctionnellement différenciées) - pousse les théoriciens et acteurs de l'urbanisme à éviter désormais le découpage foncier arbitraire, au profit d'un projet et d'une vision globale sur le territoire.
Le plan hippodamien a été largement utilisé par les Romains dans leur expansion coloniale en Europe et a été repris à partir du XVIIe siècle pour la construction des villes sur le continent amérindien notamment comme La Nouvelle-Orléans puis en Afrique du Nord au XIXe siècle avec Lyautey. Il faut aussi noter l'expérience spécifique et originale des bastides dans le Sud-Ouest de la France avec 300 à 500 établissements nouveaux créés en 200 ans sur un même et unique modèle, fait unique dans l'histoire de l'urbanisation. Il existe enfin des villes qui relève d'un projet utopique à la recherche de la Cité idéale comme Chandigarh en Inde avec Le Corbusier ou Auroville non loin de Pondichéry.
L'objectif de l'urbaniste est de donner une lecture de la ville et d'un territoire. Son travail porte sur l'aménagement des espaces publics et privés, sur l'organisation du bâti et des activités économiques, la répartition des équipements (services publics), et d'une manière générale sur la morphologie de la ville et l'organisation des réseaux qui la composent.
Le travail de l'urbaniste, loin de se réduire à un aspect réglementaire, vise à mettre en forme le projet territorial des collectivités. Son rôle est d'anticiper les besoins des populations afin de proposer un développement urbain efficace sur le plan socioéconomique et durable sur le plan environnemental. Pour ce faire, il contribue à l'élaboration de documents d'urbanisme pour la collectivité territoriale concernée, en planifiant les équipements nécessaires (espaces publics, espaces verts, réseaux d'eau potable, d'assainissement, éclairage public, électricité, gaz, réseaux de communication).
L'urbanisme peut ainsi s'exercer dans un cadre privé (bureau d'études) ou dans un cadre public (collectivités territoriales ou services de l'État), dont le rôle s'apparente principalement à de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage ou de la maîtrise d'œuvre.
Associant préoccupations hygiénistes et sensibilité esthétique, Tony Garnier, auteur de La Cité Industrielle (1917), reprend les principes antiques d'une division fonctionnelle de l'espace urbain et préconise notamment la clôture de l'ilot de la « ville-parc » en utilisant des matériaux contemporains. Si son œuvre théorique séduit les architectes soviétiques, elle ne trouve qu'un terrain d'application limité dans les travaux que lui confiera la Ville de Lyon. En effet, les quartiers industriels qu'il y réalisera ne seront finalement pas à l'image de son manifeste où s'articulent zones d'activités et zones résidentielles à faible densité et faible hauteur en gabarit.
Ces préoccupations sociales se retrouvent chez Adriano Olivetti, qui développe ses idées en matière d'architecture et d'urbanisme dans Città dell'uomo (La Cité de l'homme) publiée à titre posthume. Il met en œuvre certaines de ces idées dans le développement de la Vallée d'Aoste et dans la reconstruction de l'Italie d'après-guerre.
Le projet de Baldwin Hills Village, qui voit le jour au début des années quarante aux États-Unis, se situe dans la tradition des cités-jardins.
La figure de proue de la tradition utopique dans l'urbanisme d'après-guerre est peut-être l'architecte Le Corbusier dont les idées, le purisme notamment, vont essaimer dans le monde entier, inspirant l'architecture des villes nouvelles d'Europe de l'Est et les instigateurs du brutalisme anglo-saxon. Son nom est intimement lié à la naissance de villes modernes telles que Chandigarh, dont il est l'architecte avec Albert Mayer, mais aussi Brasilia, dont le plan d'urbanisme est réalisé par Lucio Costa et Oscar Niemeyer. La « Charte d'Athènes » de 1933 est une tentative pour synthétiser les concepts qui doivent, selon Le Corbusier et ses amis, présider à l'élaboration de la « ville fonctionnelle ».
La Charte d'Athènes a constitué l’aboutissement du IVe Congrès international d'architecture moderne (CIAM), tenu lors d'un voyage maritime entre Marseille et Athènes en 1933 sous l'égide de Le Corbusier. Le thème en était « la ville fonctionnelle ». Urbanistes et architectes y ont débattu d’une extension rationnelle des quartiers modernes.
La Charte compte 95 points sur la planification et la construction des villes. Parmi les sujets traités : les tours d’habitation, la séparation des zones résidentielles et les voies de transport ainsi que la préservation des quartiers historiques et autres bâtiments préexistants. Le principal concept sous-jacent a été la création de zones indépendantes pour les quatre « fonctions » : la vie, le travail, les loisirs et les infrastructures de transport. Le texte, très retravaillé par Le Corbusier, n’a été publié qu’en 1941 sous le titre La Ville fonctionnelle.
Ces concepts ont été largement adoptés par les urbanistes dans leurs efforts pour reconstruire les villes européennes après la Seconde Guerre mondiale; ainsi, Firminy-Vert qui consiste en la réalisation d’un quartier neuf et la construction d’un modèle de logements sociaux ; ou encore les plans de Mart Stam pour la reconstruction de Dresde. La ville de Brasilia peut être considérée comme une incarnation des principes de la Charte.
La Charte a également fait l'objet de critiques, principalement pour manque de flexibilité. Par exemple, Team 10 est apparu dès 1953. Le mouvement « Mars 1976 », cofondé par Jean Nouvel, est une autre contestation. La Charte d'Aalborg (1994), quant à elle, est aux antipodes de la Charte d'Athènes.
Une ville nouvelle est une ville, ou un ensemble de communes, qui naît généralement d’une volonté politique, et qui se construit en peu de temps sur un emplacement auparavant peu ou pas habité. Louvain-la-Neuve est une ville nouvelle dont la construction débute dans les années 1970. Ses concepteurs ont essayé de répondre aux critiques faites aux villes modernes en posant trois principes : mixité, architecture sans gigantisme à taille humaine, absence de circulation automobile.
Ces projets permettent des modes d'aménagement nouveaux, souvent marqués par les réflexions sur la Cité idéale à une époque donnée. Elles adoptent souvent un tracé régulier (en damier, en étoile…) ; les bâtiments publics, l'organisation des services et parfois les contraintes architecturales imposées aux constructeurs dénotent un programme social ou intellectuel. Le désir d'ordre s'inscrit dans le réel, dans la société humaine ; dans le tissu urbain s'incarnent alors des visées idéologiques, voire religieuses ou mystiques.
Cependant la construction de cités idéales reste un projet accessible à l'initiative utopique privée. Le mouvement pacifiste des années soixante, par exemple, se traduit par la fondation d'Auroville, ou par la multiplication de communautés hippies informelles dans les pays industrialisés.
Dans les années soixante-dix, des artistes américains mettent en place le projet d'« Illichville », d'après le nom du penseur de l'écologie politique Ivan Illich. « Illichville » est une utopie urbaine centrée sur la notion de décroissance et de convivialité. C'est à la même époque qu'apparaissent des concepts comme l'Arcologie de l'architecte Paolo Soleri, qui préconise un développement vertical de la cité, concepts qui sont largement popularisés par les auteurs de science-fiction. Plus modeste dans sa conception, l'écovillage naît du rejet de la société de consommation et de son gigantisme à la fin du XXe siècle.
L'arcologie de l'architecte Paolo Soleri, qui en est le théoricien, fait se rencontrer l'architecture et l'écologie dans l'aménagement des villes modernes. Ce système cherche à atteindre une alliance harmonieuse de l'architecture et de l'écologie dans des cités où l'utilisation de la troisième dimension (verticale) atteint une efficacité maximale, notamment en maximisant la surface des terrasses et des jardins exposés au soleil en créant des toits végétalisés, par exemple. Selon son auteur, le développement de ville en hauteur réduirait sa surface à 2 % de la surface des villes actuelles. L'arcologie serait une alternative aux phénomènes de surconsommation et de gaspillage en proposant un mode de vie plus efficace et intelligent.
L'écovillage (ou éco-village, éco-lieu, éco-hameau), est une agglomération, généralement rurale, ayant une perspective d'autosuffisance variable d'un projet à l'autre et reposant sur un modèle économique alternatif. L'écologie y a également une place prépondérante. La priorité est en effet de redonner une place plus équilibrée à l'homme en harmonie avec son environnement, dans un respect des écosystèmes présents. Le principe de base est de ne pas prendre à la terre plus que ce qu'on peut lui retourner. Les modes de culture alternative, comme l'agroécologie y sont mis en pratique.
XXIe siècle
Les types de Cité idéale contemporaine varient : d'un côté des projets pharaoniques de nouveaux riches, stigmatisés par leurs opposants, de l'autre des utopies aux revendications d'égalité et de justice sociale. Un exemple des premiers pourrait être le développement de Dubaï, qui réinjecte la manne pétrolière dans un urbanisme qui est un défi à la fois aux conditions climatiques difficiles du désert et à l'architecture de l'ère industrielle. Dubaï, encensée par Rem Koolhaas, est présentée par Mike Davis comme le « fruit de la rencontre improbable d'Albert Speer et de Walt Disney sur les rives d'Arabie. »
Les nouvelles utopies, d'une grande hardiesse technologique, sont souvent inspirées par le désir d'anticiper les changements climatiques tout en pratiquant une architecture vertueuse, soucieuse des hommes et de l'environnement, rationnelle et esthétique à la fois. L'urbanisme aquatique ("aquaurbanism" en anglais), comme ces Nymphéas présentés par Vincent Callebaut, projet d'une « écopôle flottante multiculturelle dont le métabolisme serait en symbiose parfaite avec les cycles de la nature», anticipe le réchauffement climatique et la montée des eaux. Atlantis et Utopia n'en ont pas fini de se réinventer.
À l'heure actuelle, le débat fait rage à l'intérieur même du camp de l'urbanisme durable entre partisans (comme Jacques Ferrier et ses tours Hypergreen) et opposants de l'urbanisation verticale. Le documentaire Last Call for Planet Earth - architects for a better world (2007-2008), du réalisateur Jacques Allard, tente de résumer les enjeux de la ville idéale du futur.
Derniers commentaires
le résumé est bien mais ça manque de détails de la bibliographie, date de l'article et du nom l'écrivain de cet article.
Clairement claire, j'ai apprécié
Le résumé est très bien fait.courge!
Le résumé est bien fait.